BOWLING FOR COLUMBINE **

Publié le par Videodrome

2sur5 Porté aux nues il y a quelques années encore, Michael Moore ne fait désormais plus l'unanimité. Une décennie après son documentaire-référence Bowling for Columbine, l'enthousiasme autour du personnage s'est relativisé, son aura de mariole citoyen dégonflée. Le public a pris du recul sur ses méthodes et surtout interroge à l'occasion la crédibilité des propos de Moore, réalisant son absence pure et simple à plusieurs reprises, la faute à certains excès.

 

En découvrant Bowling aujourd'hui, on réalise notamment comme l'homme est démagogue et narcissique. Démagogue, il l'annonce d'entrée de jeu, lorsqu'il va se munir d'une arme offerte par une banque pour chaque ouverture de compte. Il fait alors preuve d'une bien-penseance accablante culminant lorsqu'il remplit les fiches d'inscriptions : « caucasien, j'ai jamais su écrire ça moi » étant le must. Notre brave n'est pas branché ''race supérieure'', on a compris, on est très content pour lui. Narcissique aussi, parce qu'il s'impose comme l'ambassadeur de valeurs rationnels, mais il n'est en rien le héros progressiste et éclairé que sa posture souligne sans relâche ; c'est juste une grande-gueule ''de gauche'' qui ne fait que s'attribuer toutes les vertus morales à portée.

 

Alors, pourquoi ferme-t-on autant les yeux ? Parce que Moore n'est ni Zemmour ni Larry King. Moore rassure parce qu'il pourfend des certitudes ancrées dans la conscience collective américaine ; ses déambulations indiquent qu'une autre voix existe au pays des libéraux-conservateurs/libéraux-progressistes, que ce n'est pas un bloc uniforme ou chacun jure sur la Bible. Le geste est donc salutaire et louable ; dans Bowling for Columbine, Moore s'en prend à l'obsession typiquement US des armes à feux, épingle les bien-fondés des prestations des USA en tant que ''gendarmes du monde'', remet en cause la dureté du système scolaire et le manque de soutien et d'empathie du personnel encadrant. Plus globalement, le massacre de Columbine permet à Moore de de pointer la paranoia maladive des Etats-Unis et ses contre-réactions aberrantes, qui prennent la forme d'oppression abusive. Comme si chaque fois qu'un drame survenait, le système pouvait en profiter pour enfermer plus encore dans des schémas de pensée vicieux la populace et l'inciter au repli.

 

Alors bien sûr, l'existence d'un tel produit est réjouissante dans le fond, d'ailleurs le film est plaisant à suivre et les jokes de Moore font, parfois, leur petit effet. Mais ce pachyderme débonnaire est un peu le genre de personnage qui cumulerait les points Goldwin s'il se mettait à proférer ses bonnes paroles sur Internet. Moore simplifie toujours à l'extrême son travail d'investigation pour frapper les esprits par des arguments d'autorité, alors que pourtant l'argumentaire n'est pas très solide. Ainsi, Moore accuse les médias d'inciter à la violence, mais surtout pas la culture mettant en scène cette même violence (ça le rendrait moins cool, il faut comprendre). Il accuse les vendeurs de flingues et de munitions, mais surtout pas ceux du Canada (puisque là-bas tout le monde il est gentil tout le monde il est beau, n'est-ce pas, même que les gens ils ferment pas leur porte à clé). Au final, on ne sait pas plus ''pourquoi'' les Américains s'entretuent massivement (les chiffres comparatifs sont édifiants). Peut-être que la réponse était tout simplement la diffusion, voir la propagande, d'une fascination pour la violence ; peut-être que faire du crime et des interventions policières un show... peut-être, oui, oh... Moore rentre sur ce terrain, mais il n'évoque jamais la fascination, simplement le ''commerce'' du crime, qu'il ne met jamais en parallèle avec la réalité, sinon pour dire que le p'tit Américain moyen ne se soucie guère de ce sensationnalisme. Cet idéalisme confine à l'aveuglement ; Moore nage en plein contre-sens. Il cherche uniquement des bourreaux et ne comprend pas que cette catégorie n'est pas monolithique.

 

De toutes façons, Moore se couvre toujours de ridicule au final. Ses procédés mélodramatiques engluent toute réflexion. Moore offre toujours en contrepoint de ce qu'il dénonce une vision angélique (les louanges du Canada au détriment des Etats-Unis). Et qui prend-il à parti ? C'est des imbéciles qu'il interviewe ! Quelle valeur accorder aux propos de demeurés ordinaires ? Imaginez Moore dresser le portrait des militants du FN : que de skinheads au poste. Très précis et instructif ! Même la fameuse rencontre avec Charlton Heston ne tient pas debout. L'ancien acteur apparaît si vieux et usé que le dialogue tourne à vide, ce qui entame sérieusement la force de frappe de l'intervention de Moore. Pourquoi ne pas aller à la rencontre de réacs diffusant leur pensée de façon insidieuse et massive (comme Mel Gibson, moins hors-circuit tout de même qu'un Charlton Heston) ou même vers des autorités politiques directes, ceux-là même dont il fait de jolis diaporamas avec une seconde de temps de parole pour chacun ? Il y a un point positif dans ces procédés : à force de tourner en ridicule les comportements et même l'identité de leurs congénères, le film pourrait convaincre les pro-armes de prendre leur distance. A ceux-là Moore tend un miroir peu flatteur. Pour le reste, Moore, c'est juste un bouffon civique ambulant, un mec utile, mais quand même un gros lourdaud.

 

 

Note globale : 54

 

Film-doc USA de Michael Moore

Avec Michael Moore, Charlton Heston, Marilyn Manson

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L
<br /> <br /> Jamais vu, mais toujours entendu du bien de ce documentaire "coup de poing" comme ils disent...<br /> <br /> <br /> Ton article est fort instructif. Bon du coup, je ne le regarderai finalement jamais ce doc ^^<br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Tout à fait intéressant. Il a effectivement fait un super buzz au début, et puis rapidement tout le monde s'est fatigué. Sa démagogie, sa subjectivité étaient trop évidentes.<br /> <br /> <br /> <br />
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F
<br /> <br /> Intéressant, en effet, de revenir sur le cas Michael Moore aujourd'hui, adulé avant-hier (la Palme d'Or me reste encore dans la gorge), détesté hier, ringardisé par "Borat" et complètement oublié<br /> aujourd'hui. Ce recul de quelques années est bénéfique pour le regarder un peu objectivement aujourd'hui, à l'ère d'Obama, du retrait progressif des troupes au Moyen-Orient et des réformes du<br /> système de santé américain (qu'il dénonçait dans "Sicko"). "Un mec utile mais quand même un gros lourdaud" : le constat est lapidaire, un peu cruel pour Moore mais sans doute assez juste. Il<br /> faudrait que je revoie ses films pour mieux en juger - problème : je n'en ai pas très envie...<br /> <br /> <br /> Ce "Bowling for Columbine" me semblait quand même plus "supportable" que son "Fareinheit 9/11". Ce qui le sauve tout de même, au-delà du bien-fondé de ses "causes", c'est son humour volontiers<br /> incendiaire. Le bonhomme est aujourd'hui réévalué mais c'est en partie, il me semble, à cause de son incapacité à digérer les critiques (il est quand même carrément égocentrique) et son caractère<br /> devenu détestable au cours de certaines interviews.<br /> <br /> <br /> <br />
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2
<br /> <br /> Je desteste Charlton Heston ! Je déconne : j'aime beaucoup cet acteur.<br /> <br /> <br /> Pour le cas Moore, il aime mettre en scène ses documentaires. Mais je pense que tout documentaire comporte une part de mise en scène. Sauf que Moore le fait de façon si subtile qu'on voit tout de<br /> suite que son discours est orienté de façon à correspondre au sujet qu'il dénonce.<br /> <br /> <br /> <br />
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V
<br /> <br /> Intéressant à lire, car tu pointes une tendance qu'on a tous constaté : on prend enfin des distances avec michael moore. Un gars qui a des idées intéressantes, mais qui ne les met pas forcément<br /> bien en scène. On l'avait découvert en famille il y a 5 ans, et on l'avait revu il y a deux ans, et les réactions avaient été bien différentes (beaucoup plus froides).<br /> <br /> <br /> A part un troisième paragraphe plus élogieux (car résumant bien les idées du film), tu t'attaques aux faiblesses du documentaire avec virulence, notamment dans les contre-exemples canadiens qui<br /> m'avaient aussi fait un peu rire (un peu facile d'interroger d'honnêtes passants sortis de nulle part, en prétextant que c'est la mentalité moyenne de la population). Un documentaire sympathique,<br /> qui peut amener à réfléchir, mais qu'il faut un peu relativiser. Ca m'avait mis les nerfs en pelote de voir ce documentaire en cours d'anglais, comme on ne pouvait pas le regarder en entier, on a<br /> sauté des chapitres complets juste pour voir l'interview de Charlton, et les conversations qui ont suivi le diabolisaient complètement alors qu'il était clairement en désavantage en face de<br /> Michael Moore. J'ai tenté de le dire, ma remarque a été supplantée par des gars parlant plus fort. Hallucinant de constater parfois qu'en excitant la foule sur une personne en particulier, on<br /> peut créer un tel climat de quasi-haine sans aucune prise de distance...<br /> <br /> <br /> <br />
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